Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Objectif zer0
15 novembre 2017

BigData : des corsaires en démocratie

pix-data-final

Ne la chérissez-vous pas votre carte fidélité pourvoyeuse d'économies ?
Votre pèse-personne n'est-il pas l'allié de votre régime post-hivernal ?
Et ce bon vieux GPS. Ne vous a-t-il évité des dizaines d'insupportables embouteillages ?

Soit !
Mais si vous pensiez que votre petit dernier vous faisait les poches en douce pour s'acheter des bonbons, sachez que désormais, vos nouveaux ennemis sont une montre, une ampoule 60W... Et un réfrigérateur ! Car s'ils s'attaquent bien évidemment à votre porte-monnaie, c'est sur vos données personnelles qu'ils lorgnent en premier lieu.

Au commencement...
Alors on pourrait dire que la récupération puis l'utilisation massive de données personnelles sont aussi vieilles que le monde. Que le monde du marketing en tous cas.

Le 28 juin 1820, en France, une circulaire est diffusée auprès des préfets par Joseph Jérôme SIMEON, alors ministre de l'intérieur. Elle leur demande de classer les électeurs d'après leurs opinions politiques.

Le 04 novembre 1952, aux Etats-Unis d'Amérique, Dwight David EISENHOWER est élu président après une campagne menée par l'agence publicitaire BBDO : enquêtes d'opinion pour dégager des sujets porteurs, spots publicitaires adaptés état par état, marketing postal ciblé... Autant de recettes issues de la promotion des sodas appliquées ici à un produit politique.

Quelques définitions
Le BIG DATA, dont une traduction adaptée pourrait être méga données, est le secteur subdivisé en activités liées à la gestion des grandes masses de données. Subdivisé, puisque certains acteurs de ce secteur collectent, agrègent ou vendent quand d'autres analysent ces données. Et en cela, les 700 000 volumes archivés à la grande bibliothèque d'Alexandrie sous César, auraient pu être un BIG DATA. A ceci près que disques durs, serveurs et supercalculateurs manquaient sérieusement en ce temps là.

En l'état, dispersées, les méga données ne sont donc guère utilisables. Il va falloir extraire du lot les plus pertinentes. On parle alors de data mining.

Puis viendra le temps de les organiser en séries ou groupes fonctionnels. On parle ici de smart data.

A tous les stades de vie de ce BIG DATA, des acteurs interviennent afin de le rendre pleinement opérationnel. Ces acteurs, d'une activité par ailleurs gigantesque, ont pour principale caractéristique de cultiver l'art de l'invisibilité au point d'être totalement méconnus de la population.

L'ampleur du Big Bazar Data
Pour prendre la mesure de l'étendue du sujet dont il est question, réfléchissons 1 minute...
60 petites secondes...
Ca yest ?

Sachez que durant cette minute, de par le monde, les choses suivantes se sont produites (données 2017) :

- 5 084 courriels ont été envoyés/reçus (hors spam)
- 135 780 photos ainsi que 510 000 commentaires ont été postés sur Facebook.com
- 277 778 messages ont été déposés sur Twitter.com
- 2,3 millions de recherches ont été effectuées sur Google.com
- 72 heures de vidéos ont été mises en ligne sur Youtube.com
- 3 472 photos ont été déposées ainsi que 4 860 commentaires sur Instagram
- 171 239 applications ont été téléchargées sur les différents appstores (hors iPhone)

Des chiffres menant à l'ivresse. Mais qui trouvent leur place dans un monde connecté et qu'il convient de relativiser. En 1960, la Terre portait 3 milliards d'habitants. En 2017, 3 milliards de personnes ont un accès à Internet. Cela vous plante un décor.

Un casting, ses stars, ses figurants
Il faut bien comprendre ici que tout l'intérêt du BIG DATA repose sur une collecte de données d'une ampleur et d'une variété suffisante. Suffisante et nécessaire pour avoir valeur de base statistique.

Ainsi, Météo France nourrit-elle ses supercalculateurs avec des données recueillies sur plusieurs décennies : températures, précipitations, amplitude des marées, vitesse des vents, courants océaniques, etc. De la masse des informations pourront être tirés des scénarios prospectivistes. Mais dans ce qui va suivre, nous délaisserons volontairement les usages probablement utiles à la collectivité pour nous concentrer sur ceux utiles à quelques uns seulement. Et par voie de conséquence, nuisibles au reste.

Les semeurs.
Quand il est question de modélisation et de prospective au sens commercial, vous devinez que le meilleur et plus vaste vivier de données... c'est nous. Ce nous étant idéalement extensible à l'Humanité tout entière. Ou plutôt, ses pratiques. Les données du big data sont donc originellement puisées auprès de chacun d'entre nous. Ce rôle de semeurs de data est essentiel au procces global du Big Data. Un rôle qu'il nous faut hélas jouer chaque seconde sans en être toujours informés.

Les récoltants.
Ceux-ci sont à peu près connus du grand public. Ils sont incarnés tantôt par un incontournable moteur de recherches sur le Web. Tantôt par un fabricant d'ordinateurs branchés et hors de prix. Ou encore, par les fournisseurs d'accès Internet. Et bien que les plus avertis des utilisateurs les pointent parfois du doigt, ces poids lourds du numérique ont planté leurs dents dans les cous offerts d'utilisateurs qui ne savent désormais plus s'en passer. Et ainsi Google, Apple, Samsung et bien d'autres récoltent-ils des montagnes de données via leurs produits phares.

Les data brokers.
Si certains des récoltants gardent leur butin pour eux, d'autres en font le négoce. Et vendent ainsi leurs paquets de données à d'autres opérateurs dont le vampirisme n'est pas moindre que celui des récoltants. Il s'agit ici des data brokers. Ces sociétés, dont la boulimie est sans fin, accumulent des données riches et variées avec pour objectif de constituer des catalogues attractifs.

Les utilisateurs finaux.
Voyagistes, marques de prêt-à-porter, chaînes de supermarchés, politiciens en mal de popularité ou encore constructeurs d'automobiles, voici un échantillon des innombrables clients de ces catalogues. Car devenu proie de l'inextinguible désir du grand capital qu'est la maximisation des ventes, l'utilisateur final nourrit lui aussi ses algorithmes prospectivistes avec les paquets de données achetés ici et là.

Les acteurs transversaux.
Si une bonne analyse de cible commerciale repose d'abord sur un échantillon suffisant de données, elle ne saurait se passer des compétences analytiques des spécialistes. Un sociologue par-ci, un économiste par-là. Un géographe un jour, un démographe le lendemain. Des statisticiens et des développeurs partout.Tous sont appelés aujourd'hui à donner un sens aux données pour que de BIG, le data en devienne efficient.

Le coup d'avance des puissants du BIG DATA
Il n'y aurait sans doute que des satisfactions à tirer de l'utilisation massives de nos données personnelles si on s'en tenait à l'avancée de la médecine ou aux prévisions de séismes. Or nous constatons chaque jour que l'usage de ces données se fait à notre insu. Quand il ne se fait pas contre nous.

En 2009, quand éclate la grippe H1N1, Google met au point un algorithme de recoupement de mots clés spécifiques dans le champs lexical de la maladie. A cette époque, il est alors capable de dresser une cartographie de la pandémie avant les autorités sanitaires des pays touchés. L'écart entre le souci du bien commun et celui de l'optimisation de capital, entre la morale et le capitalisme cannibale, se sera certainement mesuré à la pertinence des liens commerciaux et sponsorisés apparaissant en tête des pages Google pendant la contagion. Et non pas à la découverte d'un vaccin par la firme au glouton moteur.

Alors pendant que certains recherchent, d'autres trouvent. Et agrègent.

Allstate, société d'assurance américaine, offrait 25% de remise il y a peu à ceux de ses clients qui voulaient bien s'équiper de capteurs intelligents pour la gestion de leur espace domestique. L'assureur n'envahit plus seulement votre boîte aux lettres. Il est maintenant assis dans votre canapé et oriente vos modalités de vie. La question est ici de savoir s'il veut imposer la présence d'un extincteur jusque dans la chambre parentale... afin de combattre les flammes de coeurs trop ardents.

Axa Santé, assureur français, offrait un bracelet connecté à certains assurés et proposait une récompense (jusqu'à 100€) si un mode de vie "sain" était analysé. Etaient passés à la moulinette : calories brûlées, oxygène dans le sang, rythme cardiaque, seuil plancher de 10 000 pas de marche par jour... On s'interrogera ici sur la pertinence d'avoir un courtier en assurance comme coach sportif. Et s'il est souhaitable de léguer notre part d'hédonisme à un partisan du risque zéro.

Lendo, un organisme de crédit basé à Hong-Kong, utilise les flux de Twitter et Facebook pour valider l'attribution d'un prêt à ses clients. Sans doute parce qu'il n'a échappé à personne que la solidité et la rigueur d'un débiteur se mesure à l'aune de ses activités peinture, yoga ou randonnée.

De la même façon, Kreditch (organisme de crédit allemand) analyse jusqu'à 8 000 paramètres (localisation, achats en ligne...) pour valider l'attribution d'un prêt. Ce qui ne lui permet cependant pas de battre ZestFinance, qui utilise jusqu'à 70 000 flux pour analyser les risques portés par ses clients.

Ainsi, avant même que nous ayons fait l'expérience de nos événements de vie personnels à venir (naissance, mariage, déménagement...), des entreprises ont déjà dressé la cartographie de nos parcours et comportements "idéaux". Idéaux pour elles, parce que rentables. Mais des murs coercitifs pour le peuple des consommateurs. Des murs qui balisent nécessairement les déterminismes individuels par la contrainte du prix, de la surtaxe ou du refus d'un prêt.

Nous, les Shadoks de la pompe à DATA
Chacun aimerait se convaincre que la captation de données personnelles, c'est pour les autres. Qu'il est suffisamment informé et agile pour éviter les chaluts des pêcheurs de données. Mais la situation est loin d'être aussi rassurante.

Bien sûr, des différences sociologiques et culturelles existent, qui font que les individus ne sont pas également armés devant le BIG DATA. Il y a les technophiles voraces qui ne jurent que par la dernière innovation. Celle terriblement tendance et bardée de capteurs qui passera au peigne fin leur habitus. Il y a les techno-résistants pour qui une enveloppe confiée au facteur vaut bien plus qu'une série de pixels alignés en d'horribles abréviations à la sauce Sms.

Mais quelles soient concédées volontairement ou par méconnaissance, nos données personnelles fuitent plusieurs dizaines de fois par jour. Et par les biais les plus inattendus.

pix-frigosamsung-final

L'espion qui venait du froid
Le réfrigérateur Family Hub, commercialisé par la firme Samsung, est une petite merveille de technologie. Il saura se faire discret dans un coin de votre cuisine. Et vous épier.

Ses 3 caméras intérieures vous donnent accès à un inventaire des aliments stockés sans avoir à actionner la porte. Mais les fameuses CGU (Conditions Générales d'Utilisation) précisent-elles clairement si des clichés sont envoyés via Internet vers Samsung ? Clichés qui ne manqueraient pas de retracer votre histoire d'amour avec certaines marques récurrentes.

Son écran tactile vous guide dans l'élaboration de recettes via l'application Allrecipes. Et si un ingrédient vient à manquer l'application "Groceries" suggère des achats auprès de commerçants partenaires. L'écran tactile, toujours lui, fait office de post-it moderne en permettant la gestion des plannings de chaque membre de la famille.

L'ensemble devient alors une immense fenêtre ouverte sur vos vies : temps de présence au foyer, nombre de ses occupants, temps consacré au loisirs, comportement alimentaire, attachement aux marques. Vous voilà définis par les reliefs de vos repas. Et sollicités par des annonceurs ciblés.

pix-montre-vivoactive-final

L'agent qui vous passe les bracelets
La montre connectée VivoActive 3, commercialisée par la société Garmin, est une petite merveille de technologie. Elle saura rehausser la finesse de votre poignet. Et vous épier.

Ses nombreux capteurs permettent de mesurer votre fréquence cardiaque et votre VO2 Max. Mais aussi de simuler votre âge-fitness et de suivre votre courbe de stress. Encore une fois, les CGU indiquent-elles clairement si ces données sont vendues à des DATA BROKERS pour aller ensuite étayer les contrats contraignants des assureurs ?

La fonction de coaching sportif propose différents programmes : marche, vélo, golf, ski... Le choix de l'un de ces programmes permettra, couplé aux données vitales, de dresser votre portrait sans que vous n'ayez jamais rencontré un seul salarié de chez Garmin. Tout comme votre pouvoir d'achat, que l'on suppose normalement plus élevé pour s'adonner aux joies du golf et du ski.

Quant à sa fonction LiveTrack, elle vous permet de partager en temps réel vos données d'activité avec un groupe. Et la collecte se fait plus grande !

Et nous pourrions en dire presque autant du pèse-personne connecté RD-953 commercialisé par la société Tanita. Il mesure 10 données corporelles par impédance bioélectrique. Une autre merveille de technologie.

Ici le téléviseur... je vois reçois 5 sur 5
Connaissez-vous la gamme de SmartTV du fabricant sud-coréen Samsung ? Vous devriez pourtant. Car si la solitude est le mal social du 21ème siècle, ces téléviseurs sont en passe d'y remédier. Du moins partiellement car si le téléviseur ne vous parle pas, en revanche... il vous écoute.

Ces télévisions sont pilotables par la voix. Le poste est de fait en situation d'écoute permanente de vos ordres. Ce, même en veille. Et il aura fallut de nombreuses semaines aux utilisateurs pour trouver le détail des conditions d'utilisation.

Samsung précise ainsi que l'écoute par le téléviseur de son environnement génère un fichier texte. Et que ce dernier peut être cédé à des tiers. Or si on comprend aisément que cette technologie nécessite un fichier d'apprentissage pour la machine, sa transmission permanente et enrichie à un tiers ne peut que soulever des craintes à l'heure où les télévisons ont des oreilles.

Car de tels terminaux télévisuels sont aujourd'hui proposés avec un bouquets de services, dont l'achat de vidéos à la demande. Qu'en sera-t-il alors de la (déjà peu) objective variété des titres proposés, le jour où le fabricant de votre boîte à images aura disséqué les débats familiaux tenus au salon quant au choix du programme du soir ?

Premier bilan intermédiaire
Des acteurs discrets, bénéficiant de l'infinie montée en puissance des supercalculateurs, des capacités de stockage et de la complexité des algorithmes. Des objets anodins ou spécialisés, dotés de toujours plus de capteurs et de fonctions générant les données qui échouent dans les filets du Net.

Voilà comment la toile est tissée.

Et il est vain de croire que cela épargne la majeure partie des humains. En 2015, on dénombrait 3 milliards d'objets connectés dans le monde. En 2020, l'estimation portait le nombre de ces objets à 50 milliards. Autant de passerelles via lesquelles transitent 24h/24 les reliefs de nos activités.

Mais tout cette mécanique impeccablement huilée ne fonctionnerait pas sans notre participation constante et par trop aveugle. A grands renforts de services innovants, les chantres du commerce illimité nous abreuvent de services, gratuits le plus souvent, et dont nous trouvons qu'ils sont d'un indispensable confort. Au point de ne plus jamais arriver à les refuser. Au point de ne jamais en faire le procès rationnel qui nous permettrait d'en dégager les réelles toxicités sociales.

Des profileurs dans le maquis du persil
A force de pratique et de cogitation, vous aviez bien fini par comprendre que votre adresse email avait été copiée/collée aux quatre coins du Net. Vous valant une campagne de spams à feu nourri. Ici pour un appareil à raffermir votre sexe. Là pour une opportunité de vider votre porte-monnaie. Et jamais le contraire.

Mais vous n'aviez pas imaginé qu'un impitoyable espion travaillait contre vous, camouflé par la botte de poireaux de la ménagère de moins de 50 ans.

Nous avons vu précédemment que les acteurs du BIG DATA pouvaient compter sur la docilité de nos objets quotidiens et connectés. Nouveaux compagnons sans pattes mais qui savent rapporter le gros bâton des données personnelles. Que nous prenons par ailleurs soin de leur lancer nous mêmes.

Puis il y a nos données personnelles, soumises par obligation à la collecte par les institutions publiques. Et qui bientôt deviendront la propriété du secteur privés. Ou encore ces vastes rafles de DATA individuelles à l'échelle nationale. Qui font de leurs organisateurs des experts loin de Miami et toujours plus près de nous.

Quand l'Etat nous vend en pièce détachées
Vous souvenez-vous de la loi LOPPSI 2 ? Mais si voyons !

La "Loi d'Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure". Dont le décret d'application fut signé en mars 2011. Ce texte, élaboré par les ministres Michèle ALLIOT-MARIE et Brice HORTEFEUX, avait pour objet d'améliorer l'efficacité de la police et la gendarmerie. Partant de là, tout le monde comprendra bien qu'il était indispensable de glisser un article (parmi les 140 de la loi) donnant autorisation à l'Etat de céder les données du fichier national des immatriculations à des tiers. Contre paiement bien entendu !

Ainsi, un arrêté du 31 janvier 2014 vient même préciser la fourchette dite "raisonnable" du prix de cession des informations personnelles. Actuellement, le dossier d'immatriculation est vendu entre 0,08 et 0,20€ selon son niveau de complétion. Ce petit commerce décidé et organisé sans les citoyens à rapporté 3,9 millions d'euros à l'Etat en 2013. Mais pas de panique, le législateur s'empresse de répondre aux citoyens qu'il est toujours possible de soustraire son fichier d'immatriculation à sa mise en vente. Encore faut-il que les intéressés sachent que le principe même de sa vente est acté sans information. Il serait alors rationnel de se demander pourquoi il n'appartiendrait pas à l'Etat de NOUS demander une autorisation de vente. Malheureusement, nul n'est censé ignorer la loi... même si nul d'entre nous ne l'élabore.

Alors qu'advient-il lorsqu'une société d'assurance vous retrouve au sein du fichier des immatriculations ? Une entrée du fichier signale un véhicule utilitaire ? Une autre, pour le même propriétaire, concerne une remorque de plus de 750kg ? Et hop ! Une prospection téléphonique, doublée d'une relance par courriel, triplée d'un courrier postal pour vous proposer de revoir l'ensemble de vos assurances professionnelles, hypothétiquement à la baisse. Sans oublier de vous motiver pour souscrire à la dernière mutuelle santé particulièrement adaptée à l'artisan que vous êtes.

Un véhicule 7 places, un autre plus urbain et une grosse berline immatriculés à la même adresse ? Surtout ne pas oublier de solliciter, pour un ensemble de prestations premium, cette charmante famille étiquetée "nombreuse et CSP+".

Et les données personnelles n'arrêtant jamais leur voyage, bientôt des propositions sous la forme d'un catalogue d'outillage pour professionnels du bâtiment. Ou d'idées "évasion" pour un voyage en family-hotel aux Maldives.

 

pix-carte-fidelite-final

Carte fidélité : la nouvelle boule de cristal
Il n'y a pas pire ennemi qu'un espion qui vous voudrait du bien !

Et dans ce domaine, les innombrables cartes de fidélité apparues depuis une quinzaine d'années dans les centres commerciaux excellent. En proposant des promotions, des réductions en pieds de tickets ou des cumuls de points valorisables en cadeaux, les cartes de fidélités apparaissent comme les nouvelles alliées du consommateur en temps de crise. La vigilance à leur usage chute donc tout naturellement. Mais les groupes de la grande distribution se doublant rarement d'entreprises de charité, la carte de fidélité est avant tout leur arme de consommation massive.

Lors de votre passage en caisse, en l'absence de carte, quelques bons promotionnels vous sont délivrés. Généralement ciblés sur des marques en rapport avec les gammes de produits que vous venez d'acheter à l'instant. Mais ce ciblage "live" ne suffisait pas aux géants de la distribution. Il leur fallait quelques choses de plus intime, de plus lisible afin d'anticiper vos achats futurs. C'est donc la carte de fidélité qui va individualiser vos achats, tout comme elle va permettre de les analyser sur une période suffisamment longue pour en tirer quelques secrets utiles au commerçant.

L'enseigne Carrefour, comme d'autres commerçants de son secteur d'activités, délègue le traitement de ses données de caisses en temps réel à une société déportée. Parmi ces sociétés de gestion et d'analyse en direct, Catalina (basée à Boulogne Billancourt) fait figure de fleuron technologique et opère sur les données collectées par ses prestigieux clients dont Coca Cola, Danone, Intermarché, Carrefour, Nestlé, TF1, Système U, etc.

A tous moments de la journée, William FAIVRE (président de la société) peut suivre l'activité de n'importe quelle caisse de n'importe quel magasin connecté du réseau Catalina. Ces analyses de mouvements de produits donnent lieu à 2 choses. D'une part, une proposition de bons de réduction, qui vont être générés consécutivement au paiement du consommateur. D'autre part, un archivage des flux de consommation de chaque porteur de carte. Puisque tel est le rôle véritable de la carte : personnaliser l'analyse des ventes. Et William FAIVRE ne s'en cache pas, il sera par la suite possible de tracer un profil du consommateur encarté au fil des semaines, des mois et des années.

Mieux ! La nature de ses achats (produits amincissants, articles de sport, alcools, aliments diététiques...) va permettre des conjectures ensuite transformées en d'alléchantes propositions. Et il faut reconnaître que la chose n'est pas bien compliquée.

Imaginez madame GUDULE, porteuse d'une carte fidélité. Au moment de sa souscription gratuite à la carte, Mme GUDULE aura donné ses nom, prénom, adresse, date de naissance et courriel. Catalina sait donc que l'individu Gudule est une femme, âgée de 25 ans. Les données stockées sur les habitudes de Mme Gudule font apparaître un usage régulier de serviettes hygiéniques. Achats qui jusque là, n'ont rien d'extraordinaires.

Mais voilà que les algorithmes de Catalina détectent une disparition des produits d'hygiène intime lors des passages en caisse de Mme Gudule. Et ce, durant plusieurs mois. Catalina déclenche alors l'attaque ciblée. Et Mme Gudule ne s'étonnera nullement de recevoir des bons promotionnels pour du lait maternisée et des petits pots pour bébé... puisqu'elle est effectivement enceinte.

Si Mme Gudule attend un heureux événement, Catalina suppute qu'il doit y avoir un Mr Gudule. Et c'est ainsi qu'une pluie de tentations s'abat sur Mr Gudule. Sous forme de réductions au rayon bières et accessoires auto.

On est peu de choses. Catalina le sait.
Car Catalina voit tout.
Car Catalina analyse tout.
Et nous lui donnons carte blanche (de fidélité) pour cela.

Et encore une fois, inutile d'imaginer échapper aux tenailles de la carte fidélité. Une enquête de 2012 révélait que 74% des français possédaient entre 3 et 20 cartes fidélités. Rien que ça ! Parmi ces personnes, 16% de hommes et 84% de femmes.

Echantillon statistique : passer de la louche à la brouette
Tentons maintenant un petit calcul dont l'évidente approximation ne saurait donner un poids statistique au résultat. Mais ce dernier devrait malgré tout éveiller un tant soit peu notre curiosité.

En 2014, la France comptait 49 755 151 habitants majeurs :
- dont 74% possèdaient au moins 3 cartes de fidélité : 36 818 812 consommateurs
- dont 84% étaient des femmes : 30 927 802 consommatrices
- dont 92% utilisaient leurs cartes à chaque achat : 28 453 578 utilisatrices systématiques

Presque 28,5 millions d'individus au sein de cet échantillon statistique. Echantillon de profilage qui ferait rosir d'envie une équipe d'expérimentation en psychologie comportementale. Près de 28,5 millions d'individus, volontaires pour léguer aux saintes écritures de la grande distribution les pièces du puzzle de leurs vies intimes. Sans menaces et quotidiennement. Plus qu'on ne va au confessionnal.

Encore que le chiffre de 30 millions soit largement arrondi aux angles. Car s'il ne s'est porté que sur une population majeure (consommateurs potentiellement indépendants), le profilage pourra tout aussi bien s'exercer sur les personnes mineures. Les cartes de fidélité retiennent également les miettes de vie de nos enfants : abandon du lait maternisé au profit d'une alimentation solide, 1ère console de jeux achetée, addiction aux bonbons...

Deuxième bilan intermédiaire
Cartes de fidélité ici. Montres, téléviseurs ou réfrigérateurs ailleurs. Demain, slips de bain, brosses à dents et parasols seront eux aussi connectés. En attendant le tour du poisson rouge.

Ces objets ont le vent en poupe. Et leurs initiateurs soufflent sur les voiles avec gourmandise. Quant à nous, nous ramons !

Mais hélas, le projet émergé de nous vendre toujours plus et mieux les objets du mercantilisme galopant est de loin le plus acceptable. Son pendant politique, immergé cette fois, s'attache à nous vendre l'assurance d'être libres... d'être manipulés. Et dépolitisés.

Dans ton flux... le projet politique
Alors en matière de protection de l'intimité de nos vies individuelles, quand ça veut pas... ça veut pas ! Et c'est sans compter un rapt, qui ne dit pas son nom, et qui vise la structure fondamentale de la société tout entière. Jusqu'à peut être la détricoter un jour.

Rencontre avec ces faiseurs de nations qui oeuvrent à remplacer les urnes par les DATA CENTERS. Vous ne les connaissez certainement pas. Ils vous connaissent assurément ! Et il est temps de rétablir un minimum l'équilibre.

EXPERIAN
Cette entreprise, créée en Irlande en 1996, s'implante en France la même année. Elle entre en bourse en 2006 et est immédiatement classée dans le FTSE 100 (100 entreprises les mieux capitalisées de la bourse de Londres). En 20 ans, elle développe un réseau de clients dans 90 pays et des agences dans 39. Elle dégage un chiffre d'affaire de 4,8 milliards ($US) en 2015.

Parmi tous les produits et services proposés par EXPERIAN, un outil nommé "Mosaic". Cette application permet l'agrégation et la manipulation d'une base de données personnelles en vue d'un ciblage d'une partie de la population. L'échantillon ainsi isolé sera l'objet d'une campagne publicitaire, d'une prospection téléphonique, etc.

Sa documentation-client avance des chiffres vertigineux concernant son "catalogue" de données. Selon EXPERIAN, elle couvre plus de 1 milliards d'individus, dans presque tous les pays du monde. Les chiffres ne sont pas moins colossaux pour la France où 95% de la population sont "radiographiés", soit 26 millions de ménages ! Le nombre de données recueillies par personne a permis de les classer en 13 groupes et 56 sous-groupes reflétant au mieux leurs tendances.

La société EXPERIAN enrichie son BIG DATA au fil de diverses sources dont :
- la base de données de MEDIAPRISM, une filiale du groupe La Poste
- la base de données de France Telecom
- la base de données de l'INSEE
- la base de données des certificats d'immatriculations français
- la base de données de PRIMAVISTA, société éditrice du site web "www.etreenceinte.com"
- les bases de données de diverses start-up "récolteuses"

ACXIONA
Fondée en 1969 dans l'Arkansas, l'entreprise est présente sur tous les continents. En France, le siège est situé à Levallois-Perret. Acxiom a dégagé un chiffre d'affaires de 1,2 milliards ($US) dans le monde en 2016.

Son produit phare est "PersonicX". Il permet à son utilisateur de filtrer puis d'agréger un échantillon d'individus parmis une base de 160 millions d'américains. La base française liste 24 millions de ménages. Afin d'optimiser le ciblage marketing de ses clients, ACXIOM a constitué une base de données segmentées en 32 tendances comportementales. Pour ce faire, 600 critères de consommation et 200 produits ont été utilisés comme marqueurs. Mais "PersonicX" intègre également des paramètres socio-démographiques pour affiner les segments. Cet outil est notamment reconnu pour son efficacité à anticiper l'acte d'achat en rapport avec les événements de vie des ménages (mariage, naissance, déménagement...).

EQUIFAX
Créée en 1899 à Atlanta, cette société officie en premier lieu dans l'analyse de solvabilité des porteurs de crédits. Son implantation dans une 20aine de pays reste malgré tout majeure sur le continent américain. Son chiffre d'affaire est marqué par une forte progression ces dernières années, notamment en 2015 (2,4 milliards $US) et 2016 (3,1 milliards $US). Ses actifs (biens, propriétés,valeurs...) sont tout aussi remarquables : 6,7 milliards ($US).

Sa communication sur Internet fait état d'une base de données concernant plus de 820 millions d'individus et plus de 91 millions d'entreprises. Les données concernant les salariés sont délivrées par plus de 7 000 employeurs coopérants.

CORELOGIC
Opérant initialement dans le secteur immobilier dès 1991, CoreLogic s'est ensuite convertie dans la gestion de données personnelles en se restructurant en 2010. Malgré son jeune âge dans ce domaine, l'entreprise déclare déjà un chiffre d'affaire de 1,5 milliards ($US) en 2015.

Sa base, spécialisée dans les données de transactions de propriétés, présenterait plus de 795 millions d'entrées.

Et les autres...
A ces 4 exemples parmis les plus en vogue, nous pourrions ajouter une kyrielle de sociétés, tantôt généralistes, tantôt spécialisées, et moissonant compulsivement dans les champs des DATA :
- DataLogix : 110 millions de ménages / 2 000 milliards d'achats analysés ($US) / 1 500 marques analysées
- Epsilon : 26 millions d'individus / 18 millions de ménages / 540 millions de transactions analysées
- TransUnion : 1 milliard de consommateurs dans 30 pays / 200 millions de fiches sur les consommacteurs actifs aux Etats-Unis

Et encore ceux-ci : Fair Isaac, Harte-Hanks, Intelius, LexisNexis...

Les moissonneurs moissonnés
Voir grandir, de façon exponentielle, la montagne de nos données personnelles captées n'est intrinsèquement pas rassurant. Mais il n'est pas plus apaisant de savoir ces mêmes données transformées en objet de désir et capturées une seconde fois. Car la majorité des entreprises citées ci-dessus ont eu à faire face au piratage de leurs installations et au pillage de leurs DATA. Entraînant parfois des recours collectifs en justice (class action), notamment aux Etats-Unis où la culture d'une justice collective est actée depuis 1950.

Entre janvier et juillet 2003, ACXIOM subit 137 attaques informatiques qui mèneront au vol de 1,6 milliards d'enregistrements.
En septembre 2015, 15 millions de données sont dérobées à EXPERIAN.
En mai 2017, 140 millions de fiches d'individus sont subtilisées sur les serveurs de EQUIFAX. Et avec elles, 209 000 numéros de cartes bancaires.

Dans la majorité de ces cas, ce n'est pas tant la prise de contrôle de données personnelles par un pirate qui devrait questionner la société civile. Car après tout, dans les deux cas elles nous sont bel et bien soustraites. Mais ces fichiers informatiques enrichis (noms, prénoms, numéros de sécurité sociale, adresses email, numéros de compte bancaire, copies de permis de conduire...) rendent aisément exploitables les usurpations d'identités. Fléau dont les victimes mettront plusieurs années à s'extirper.

Les rats du silo à grains
Il est possible que la comparaison ne soit pas flatteuse pour les rats véritables. Car ainsi sont les rongeurs qu'ils répondent instinctivement à leurs besoins vitaux en visitant les stocks de bons grains du silo.

Il existe en revanche des acteurs du BIG DATA qui boulottent sans vergogne nos données personnelles à des fins bien plus orientées : les politiciens.

Barack Obama
Pour les élections présidentielles de 2008 et 2012, l'équipe de campagne de Barack Obama, a dépensé 30 millions de $US en achats de fichiers aux DATA BROKERS. Une fois agrégés, ces fichiers rendaient possible un ciblage parmi des informations (jusqu'à 600 par individu) dans un échantillon de 220 millions de citoyens américains. CATALIST, la base de données ainsi constituée, était digérée à la demande par un logiciel de simulation de scénario de campagne, BLUE STATE DIGITAL.

Anne Hidalgo
De son côté, la candidate Anne Hidalgo, lors des élections municipales de 2014 à Paris, à choisi le logiciel CINQUANTE+1 conçu par la société LIEGEY MULLER PONS. Un de ces co-fondateurs, Arthur MULLER explique d'ailleurs que son logiciel, utilisé dans le cadre du porte-à-porte, se montre très performant : "Il permet de faire changer d'avis 1 personne sur 14 contre 1 sur 100 000 avec le tractage." Et puisqu'on n'est jamais sur de rien, Anne Hidalgo a doublé son potentiel de ciblage en utilisant également le logiciel BLUE STATE DIGITAL.

Emmanuel Macron
50+1 sera également l'arme de persuasion massive d'Emmanuel Macron pour la présidentielle de 2017.

Nathalie Kosciusko-Morizet
Sans surprise, l'opposante principale à A. Hidalgo, Nathalie Kosciusko-Morizet, s'est outillée de logiciels analogues mais concurrents : MEMENTO et CORTO. Laura Polet, chargée de communication web de NKM, affirme quant à elle que : "C'est clairement la plus grosse valeur ajoutée de cette campagne par rapport à 2008."
C'est dire si le contenu du programme prend soudain un violent effet de recul au palmarès des priorités des candidats. L'objectif d'une telle stratégie basée sur le BIG DATA n'est plus caché par ses partisans. Il ne s'agit plus ici de proposer un projet politique dont chaque point sera expliqué, débattu et défendu. Mais plutôt de produire des concepts dont on pourra identifier les cibles rattachées. D'anticiper la tactique de persuasion pour éviter la spontanéité des échanges d'idées. De donner à chacun ce qu'il souhaite entendre afin de rétrécir le débat démocratique.
Laura Polet de préciser : "Par exemple, quand Nathalie plaide pour que tous les parisiens puissent disposer d'un square à moins de 250m de chez eux, nous pouvons le faire valoir auprès de tous ceux qui vivent plus loin d'un espace vert." Les acteurs se bousculant sur le créneau de la gestion des données d'influence, les logiciels ne manquent pas.

François Fillon
Certains, décomplexés, portent des noms qui en disent bien plus long qu'une 20aine d'années de séances de psychanalyse allongée. Comme le très populaire NATION BUILDER de la société La Netscouade créée en 2007 (chiffre d'affaires 2015 : 4 229 700€).
Retenu pour la campagne de François Fillon, NATION BUILDER a aussi obtenu les faveurs d'autres candidats en d'autres lieux, en d'autres temps : Nicolas Sarkozy, Jean-Luc Mélenchon, Donald Trump ou encore Patrick Mennucci à Marseille.
Le logiciel recoupe sa base de données personnelles avec celles de réseaux sociaux et les listes électorales comme le précise Benjamin Raynaud, responsable de la campagne web de P. Mennucci. Ce type d'outil informatique devient donc le principal prescripteur de cibles à atteindre, dans des pays désormais découpés en segments... pour 19 à 999 $US par mois (tarifs précisés par La Netscouade, selon la quantité de données traitée).

Nicolas Sarkozy
Pour sa campagne à la primaire des Républicains, l'entourage de Nicolas Sarkozy a opté pour un outil complémentaire à NATION BUILDER : l'application pour smartphone KNOCKIN.
Il s'agit de mettre entre les mains des militants de terrain un fichier leur permettant d'aller au contact de "sympathisants" à transformer en militants et/en électeurs sarko-convaincus. L'application KNOCKIN leur délivre le profil de la prochaine cible chez qui aller frapper à la porte (Knockin en anglais). Le profil, alimenté par des informations du BIG DATA, est également nourri par les flux des sympathisants recueillis sur Facebook et Twitter.
Fin 2016, la CNIL (Commission Nationale Informatique & Liberté) avait lancé une investigation sur l'usage de KNOCKIN dans la mesure où la collecte de flux privés sur les réseaux sociaux n'obéit pas aux mêmes règles en France qu'aux Etats-Unis d'Amérique.

Donald Trump
"Alamo". Voilà le nom de code de la campagne de Donald Trump pour la présidentielle américaine de 2016.
Cette vaste entreprise de marketing politique a été menée par son directeur exécutif, Stephen Bannon (homme d'affaires, producteur et réalisateur de cinéma). Là encore, l'arsenal des outils d'influence des masses a été de sortie. A commencer par l'utilisation de données personnelles achetées auprès de CAMBRIDGE ANALYTICA, un puissant DATA BROKER principalement financé par le milliardaire Robert Mercer.
220 millions de fiches individuelles ont été exploitées, notamment pour la collecte des fonds de campagne débutée en 2012. Grâce à quoi un peu plus de 1 milliards ($US) ont été recueillis, principalement via des dons en ligne (70%). Parallèlement à cette levée d'argent, un travail particulièrement précis a été effectué sur la population des "indécis". 29 000 données concernant les votants de l'Ohio furent soumises à un programme informatique conçu pour l'occasion. 66 000 scénarios de vote ont été générés afin de déterminer le meilleur argumentaire possible pour faire basculer ces indécis.
Donald Trump sachant s'entourer, cette opération fut pilotée par Rayid Ghani, son conseiller scientifique BIG DATA. Ce dernier s'était brillament illustré au travers d'un programme de maximisation des promotions en supermarchés à l'échelle nationale. On ne peut donc pas s'étonner de n'avoir que du beau monde en tête de gondole.

Big Data, le cadavre exquis du projet politique
Jacques Prévert, André Breton, Max Ernst et leurs amis imaginèrent le jeu du cadavre exquis comme le moyen d'une déconstruction d'un intellect trop à l'oeuvre dans la création artistique. A formaliser systématiquement le concept de ses productions, l'artiste semblait oublier de laisser une place à son inconscient dans la genèse de son art. Désormais, piocher ça et là des mots épars serait la règle et la condition suffisante pour édifier une oeuvre. Cette joyeuse bande de surréalistes entendait bien que le résultat soit cocasse, indicible, choquant, poétique et surtout farfelu.

A leur tour, les candidats à un mandat politique se sont imaginé une technique toute similaire pour élaborer leurs programmes politiques. Mais d'ailleurs, est-il fondé de parler de "programme ? Car enfin, à défaut de voir les citoyens se mettre à l'ouvrage pour élaborer leur propre chemin commun, nous aurions pu nous attendre à ce qu'un prétendant aux fonctions suprêmes propose une vision personnelle, singulière, de la vie de la cité. Mais foin de tout cela ! Mais il n'en est rien.

Avec le BIG DATA, voici venu le temps d'une politique giratoire où la bonne option se mesure au gré du sens du vent et du doigt mouillé. Car ici nul besoin de confronter une vision au terrain. Le candidat ne va plus, déshabillé de toutes certitudes, déployer son programme devant une assistance bigarrée, un mélange de partisans et d'opposants prêts à en découdre pacifiquement pour détricoter, amender et consolider un projet de cité. Non !

Avec le BIG DATA est venu le temps de la segmentation du peuple. Cette transmutation qui voudrait changer le plomb d'un peuple hétérogène pour de l'or en lingots isolables, additionnable, empilables et manipulables. Le politique veut isoler les termes d'une équation qu'il ne sait plus comprendre à force de n'en plus faire partie.

Pour cela, le BIG DATA devient l'outil par lequel un monde complexe est réduit à de vulgaires échantillons sur lesquels des étiquettes bien pratiques pourront être collées. Mais ce biais emprunté par le politique ne s'arrête pas là.

Bilan ou dépôt de bilan
Plus enclin au discours fleuve de persuasion qu'au débat d'idées avec les citoyens, avide de résultats, le candidat s'intéresse moins à ce que disent les échantillons qu'à la musique qu'il peut leur jouer. En définissant des cibles à l'aide de scénarios numériques, le politicien recherche non seulement la bonne position du tireur mais également le type de projectiles qui feront mouche. Et ces projectiles ne sont ni plus ni moins que les "propositions" de campagne, les axes de vision politique.

A qui est déterminé par sa classification d'"accro crédits technophiles", le staff du candidat façonne un panel argumentaire aux couleurs d'un territoire bientôt entièrement équiper de la fibre optique pour une télé à écran convexe toujours connectée. Ceux de la case "jeunes familles actives", se voient servir un avenir où les hypercentres de commerces et de loisirs seront bientôt au coeur de leur projet de vie de famille. Car il s'agit bien là des catégorisations manipulées par la base de données "Mosaic" de la société EXPERIAN.

En modélisant le corps électoral, le projet politique ne naît plus par lui. Il se dessine tel un trajet sur une carte, contraint par les reliefs à éviter, obligé par les points étapes identifiés. Le BIG DATA impose un voyage sociétal où l'optimisation du parcours évite toute escapade. Seule la ligne d'arrivée (l'élection) compte, faisant fi du paysage.

On peut se prendre à imaginer qu'un jour, dans un ubuesque scénario, des candidats aux couleurs politiques devenues proches par lissage des discours, aient recours aux mêmes logiciels, exploitant les mêmes bases de données. Et de nous servir des meetings identiques. Des interventions télévisées identiques. Et sur les marchés, des tracts identiques.

Il est donc à redouter de voir les candidats bâtir leurs visions politiques toujours plus au gré du flux du BIG DATA. Mais il l'est tout autant de nous voir, demain, laisser filer une dizaine supplémentaire de nos faits et gestes intimes dans l'onde douce d'un réseau social ou d'une enquête de satisfaction que nous n'aurions pas vu venir.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité